Destin d'encre

Écrire: cette ultime chance de survie…

 

De quelques griffures d’encre me peindre un horizon,

Faire taire tous mes silences surtout les plus féconds,

Abolir ma pudeur, m’aliéner de passion,

Vomir enfin mes peurs sans haine, en ponctuation,

Est-ce-que les mots enfin me saouleront assez,

Pour que de leur ivresse se crée ma liberté?

À force de maudire mes heures sur du papier

Parviendrais-je jamais à l’oubli du passé?

 

Il n’est d’autre possible pour vivre mon présent

Que ce jeu d’assemblage de tous mes sentiments

À traduire sans faiblir et sans atermoiements

Pour rendre un peu crédible tous mes balbutiements.

Et puis il y a l’avenir à m’inventer chaque jour;

Les illusions perdues ne viennent à mon secours

Que par l’espoir secret d’apporter mon concours

Au cercle si parfait des écrits de velours.

 

Pourtant aucune angoisse n’est jamais plus violente

Que celle de se perdre d’une plume hésitante

Dans l’enfer absolu d’une langue insignifiante

Insoluble terreur de mon âme dilettante.

L’interminable doute, l’effroyable émotion

Pour chaque mot couché vénérer l’expiation

Et d’une nouvelle audace tenter la perfection

Inaccessible étoile des moindres prétentions.

 

il me faudra mille fois me vider les entrailles

En sortir le plus noir et me livrer bataille

Pour qu’au détour d’une ligne, enfin un mot qui vaille

La peine d’avoir ciselé ma phrase tel un vitrail.

Mais pour un seul miracle, combien de déchirures

Signeront dans la honte ma seule désinvolture.

Mesquine vanité d’hasarder l’écriture,

Incroyable fatuité de mon esprit impur.

 

Quand chaque nuit rappelle à mon âme meurtrie

Qu’il n’est aucune excuse à n’avoir pas écrit,

Que l’offense à la page que je n’aurais noircie

Résonnera à mes tempes toujours et sans merci.

Perpétuelle condamnée je livre soir après soir

Le même secret combat, la course à la victoire

Du message à défendre ou de la chance d’avoir

Par la grâce d’une rime troubler mon désespoir.

 

S’il est une trêve enfin pour que je m’ensommeille

Sans avoir à tuer de longues heures de veille

Pour plonger sans regret au pays des merveilles

Je devrais m’assécher à chaque nouveau soleil,

De mes pensées soufrées comme de mes bagatelles

Afin que mes yeux clos éludent la dentelle

De la danse des mots valsant dans mes prunelles.

Écrire quoi qu’il advienne, du beau ou du réel…


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