La vie ne suffit pas

Sa temporalité hasardeuse nous noie trop souvent dans des atermoiements de circonstances qui finalement empêchent la plupart d’entre nous de vivre pleinement. Nous vivons en société donc en enchaînements et obligations diverses faisant de nous des êtres aux existences amoindries au regard de nos potentiels. 

Certes notre mortalité est un écueil à toute forme d’absolu. Mais l’éternité n’y changerait rien. Quelque soit le temps qui nous est imparti nous le gâchons méthodiquement à nous entrechoquer les uns les autres au rythme de nos aspirations individuelles dont les intérêts se révèlent si souvent contraires. Notre individualisme forcené est un obstacle à toute forme de relation épanouissante. Dès l’enfance, il nous faut tenter de résoudre l’équation impossible entre qui l’on est et qui nous devons devenir au contact des autres. En quel professionnel, quel ami, quel parent le monde a prévu de nous faire évoluer? 

L’amour, notre grande affaire, est quasiment toujours, au mieux un malentendu, au pire une imposture. Dans cet univers de zapping permanent où même l’obsolescence du sentiment semble programmée, nous changeons de partenaire aussi souvent que de téléphone avec ancré au coeur un sempiternel goût d’échec et d’inaptitude. Tel des Sisyphes acharnés nous reprenons sans cesse la même quête d’idéal éternellement insatisfaite, impérieuse et cruelle jusqu’à conduire les plus fragiles au renoncement, les plus naïfs à la désespérance.

 

Pourtant il existe un univers enchanté et merveilleux où la vie est grande et les possibles infinis. Ce paradis offert à tous est le royaume sacré de la littérature. Il y a dans toutes les pages de tous les livres des plages de sable fin où il est si doux de se coucher pour partir en aventure. Pourquoi médiocrement coucher avec son voisin de palier quand on peut aimer Julien Sorel ou Edmond

Dantès? 

Pourquoi se contenter de regarder le monde au travers de nos écrans quand on peut voyager avec Paul-Émile Victor, barboter dans une mer surpeuplée quand on peut lire « Pêcheur d’Islande ». Dire que nous perdons tant de temps en conversations stériles et futiles à trahir nos mots comme nos idéaux quand il suffirait d’une voix pour nous emporter dans ceux de Rimbaud ou de Neruda. Il existe des livres, vaisseaux ou cathédrales, qui mieux que le réel font de nos vies des concentrés d’humanité. Lisons Proust, lisons Montaigne, lisons Camus, toutes les émotions et les réflexions qu’il nous traversent à leur contact, qu’ils impriment en nous, nous font grandir, jouir et souffrir tellement plus puissamment que nos pauvres échanges quotidiens de coquilles vides portées par les flots. Les poésies persanes inondées de lumière, les contes amérindiens habillés de nature, le théâtre antique fiévreux comme un mourant, les romans russes larmoyants comme un fleuve, les correspondances amoureuses brûlantes comme un mois d’août et tant et tant d’autres évidences pour nourrir et ouvrir nos esprits n’attendent que notre regard pour nous agrandir le monde. Nos listes de courses et autres mails insipides nous tirent vers le bas de nos existences marketing, formatées pour le profit et l’anéantissement de la pensée et surtout de la liberté de vivre debout. 

 

Et si nous choisissions la littérature plutôt que le sordide pour vivre enfin dans la clarté et la reconnaissance de nos altérités, de nos spécificités et de nos sublimes élévations rendues naturelles par le génie de quelques uns au service de tous les autres.

La littérature au secours de la vie qui décidément ne suffit pas.


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