Augustine

Augustine   1915 - 1933

Deux dates pour un destin.

 

 

1915 - 1933

 

Une vie. Courte, fracassée sur l’autel des convenances et du qu'en dira-t-on.

6 avril 1915, quelle drôle d’année pour faire pousser une petite fille. Née au son des canons qui déchiquetaient les hommes par milliers, dans une famille, ma famille, soucieuse pour ne pas dire écrasée par le poids des apparences de vertu et de moralité exigée par l époque où les jeunes filles ne devaient rêver qu’à petits points serrés sur les draps de leur trousseau qui  les piégeaient déjà dans un mariage honnête, sorte de carcan social ô combien désirable.

 

Mais Augustine n’enfila jamais de robe de dentelle blanche, pure comme la virginité qu’elle aurait du préserver coûte que coûte, quelques soient les soubresauts de son jeune coeur énamouré. Car Augustine a aimé et Augustine a fauté. Les années folles avaient beau avoir plongé le tout Paris dans la luxure, dans une petite ville de Normandie il n’était pas encore question de laisser les jeunes filles se soumettre à leur désir naissant. Alors quand le ventre d’Augustine l’a trahie, accueillant une vie nouvelle, témoin indéniable de son pêché de chair; la honte et le déshonneur se sont abattus sur elle avec la même brutalité que ces canons qui semblaient s’être tus alors qu’ils envisageaient simplement une nouvelle barbarie. C’est étrange comme on s’accommode mieux du bruit de la mitraille que de celui du coeur d’une demoiselle battant un peu trop fort.

 

Il ne fut sans doute même pas envisagé de mettre cet enfant au monde. Lui donner la vie aurait jeté sur sa mère et les siens une telle opprobre qu’il n’y eut pas matière à débattre. Une faiseuse d’anges ou peut-être Augustine elle-même dans la solitude du désespoir a oeuvré pour une solution radicale.

La famille fut-elle ordonnatrice, complice ou ignorante du drame qui se jouait. Peu importe en vérité.

De deux choses l’une, soit Augustine a confié son état embarrassant et l’on a décidé pour elle, soit son désespoir fut si grand et sa confiance en les siens si petite qu’elle a choisi le silence et le danger. Dans les deux cas il me semble que son entourage porte la même responsabilité. Toujours est-il que le travail fut si bien accompli qu’il fît deux anges d’un coup. La mort a cueilli Augustine comme une fleur, petit coquelicot ensanglanté d’avoir aimé à l’aube de sa vie. Mourir à 18 ans dans la douleur et le silence pour ne pas avoir à affronter le regard des voisins. Cela ne fut pas suffisant. La vie d’Augustine envolée, restaient des questions, les doutes, les apparences à sauver. Il fallut lui inventer un malheur sur mesure qui permettait aux larmes qu’on lui dédiait de couler sur des joues débarrassées du rouge de la honte. Heureusement en ces temps-là, la médecine encore hésitante offrait facilement ce genre de drame, une affection quelconque et foudroyante pouvait emporter une jolie jeune fille sans que cela semble louche. De laquelle fut-elle auréolée? Je ne sais pas. D’ailleurs cela est sans doute sans aucune importance, j’imagine qu’au fond, tout le monde savait mais les apparences exigent d’être sauvées, plus que les jeunes filles… Je ne sais donc rien. Il a fallu que ma curiosité s’entête sur la petite photo aperçue sur la tombe où elle repose auprès de ses parents pour que je connaisse son existence. Ou plutôt que je la fasse ressurgir du néant dans lequel elle avait été soigneusement rangée un demi-siècle durant. Augustine n’a pas seulement perdu la vie en ce 14 octobre 1933, elle a perdu le droit à la mémoire, sa mort et surtout les circonstances de sa mort lui ont volé jusqu’à son identité, la réalité de son passage au sein de cette famille, le souvenir de celle qu’elle a été. Le chagrin fut discret, digne et honorable, réfugié dans le silence à en devenir tabou. Plus personne jamais  ne murmura le prénom d’ Augustine, jeune fille trop tendre ou trop sensuelle pour survivre à son destin. Je me demande qui au cours de ces années où refroidissaient ses os a eu parfois une pensée pour elle dans le secret du soir. Y eut-il quelqu’un pour lui parler dans le noir, pour lui dire combien elle leur manquait, combien ils regrettaient. De ça non plus je ne sais rien. Je ne sais qu’une tombe, deux dates et un visage. L’acharnement de questions qu’il m’a fallu pour enfin savoir qui elle avait été fut peu récompensé, la chape de plomb qui la recouvre ne m’a pas permis de la connaître autant que je l’aurais souhaité. Elle était la soeur de mon grand-père que je ne peux imaginer autrement qu’en grand frère affectueux et pourtant lui non plus n’a jamais parlé d’elle, petite météorite de ma famille qui pèse si lourd de son existence si légère.

 

Puisque je ne sais rien de sa vie et qu’il n’est plus personne pour pouvoir me la raconter, je lui en invente une, sorte de cadeau à travers le temps comme pour déchirer son linceul d’oubli. Je lui dessine une enfance, petite fille aux boucles blondes qui chantait sur le chemin de l’école. Petite chipie qui jouait aux billes mieux que les garçons en riant de leur rage. L’adolescence a habillé son corps de charmes inconnus qui l’ont troublée si fort que lorsque ce voisin s’est mis à lui sourire, elle s’est crue amoureuse, a rêvé pendant des semaines, a résisté à l’envie qu’elle avait qu’il la prenne dans ses bras et un jour de soleil a fini par s’offrir. J’espère vraiment qu’il fut doux , tendre, qu’il l’a aimée et qu’ils se sont offerts des heures enchantées J’espère que devant l’arrondi de son ventre il s’est ému et lui a proposé de s’enfuir, de l’emmener loin, ailleurs où ils pourraient ensemble accueillir cet enfant. J’espère qu’il l’a pleurée sincèrement et qu’il eut pour elle tout au long de sa vie des sanglots étouffés, patinés du regret de n’avoir pu la sauver. Oui il faut que cela se soit passé ainsi, qu’au moins elle soit morte d’amour et non pour le plaisir fugace et indifférent d’un homme dont l’intérêt pour elle se serait limité au soyeux de sa cuisse.

Réinventer son histoire pour la sortir du néant, tous ceux dont le regard se poseront sur ces lignes sauront dorénavant qu’Augustine fut et qu’elle mérite comme chacun le souvenir et le respect de son existence.

 

Combien d’autres Augustine, Françoise ou Marie dorment encore dans les limbes de l’oubli? Combien cette barbarie faite aux femmes a-t-elle exigé de sacrifiées sur l’autel de la maternité non désirée?

Encore aujourd’hui des femmes meurent à travers le monde d’ avortements clandestins qui tournent mal. On estime à 47 000 par an, un toutes les 9 minutes, le nombre de cas de ces morts prématurées et indignes de notre époque si merveilleusement moderne. 7 000 000 de femmes sont prises en charge pour des complications liées à une IVG clandestine entraînant parfois des séquelles irréversibles telle que la stérilité. Seules 39,5% de la population féminine mondiale a en 2018 accès à des procédures d’avortement médicalisées et sûres.

En France il est relativement aisé, encore que de grosses différences persistent en fonction des spécificités géographiques du territoire, selon qu’elle vive en milieu rural ou urbain une femme n’aura pas de semblables opportunités de gérer cette situation avec le même accompagnement et le même respect de son corps et de sa décision.

Ce droit reconnu aux femmes françaises est encore récent et fragile, remis en cause régulièrement par certains esprits qui le plus souvent se réclament d’ un droit à la vie mais sont prêts à renvoyer  Augustine perdre la sienne pour leur obscurantisme. Il a fallu la lutte acharnée de toute une génération pour gagner ce droit à la liberté pour les femmes de disposer d’elles-mêmes, de leur corps et de leur maternité.

« Un enfant si je veux, quand je veux ». Bien plus qu’un slogan ce cri fut une véritable déclaration de guerre à une société d’hommes le plus souvent mal informés parce que non concernés qui tuaient les femmes par milliers. Ce n’est qu’en 1967 que la loi Neuwirth leur permet enfin de s’affranchir de cette terreur mensuelle du risque de grossesse en ayant recours à la contraception. Huit ans plus tard, en 1975, la loi Veil, adoptée aux forceps par une assemblée et une opinion publique déchirées autorise le recours à l’Interruption Volontaire de Grossesse.

 

Trop tard pour Augustine.

Dans les années 30 entre 20 000 et 60 000 femmes ont perdu la vie chaque année pour avoir refusé de mettre au monde un enfant non désiré, conséquence directe des lois très dures de 1920 et de 1923 totalement régressives qui interdirent toute forme de contraception et à fortiori l’avortement que ce soit pour soi-même mais également pour autrui déclaré alors coupable de complicité de crime. Il convient de comprendre qu’après la boucherie de la guerre, notre pays avait besoin de bras jeunes et forts, pas question dans ces conditions de laisser les femmes « sacrifier » les vies en devenir dont la nation avait tant besoin. Pour autant le carcan de la morale continuait de régir le quotidien sociétal et les femmes  de toujours subir cette mise au ban du monde si elles concevaient la vie en dehors du cadre prévu pour elles. Quand le puritanisme et l’hypocrisie s’accouplent, c’est toujours au détriment des comportements dignes et bienveillants. Peut-être à méditer encore aujourd’hui…

 

Augustine ne fut donc la fleur que de quelques saisons avant d’être arrachée brutalement et jetée dans la tombe et l’oubli, recouverte du voile poisseux de la honte. Je suis heureuse de l’en délivrer aujourd’hui pour lui offrir la pleine lumière et lui dire à travers le temps et la mort que je suis désolée de son destin. Je suis de sa famille, à deux générations de distance et je mesure ma chance, moi qui ai mis au monde à 20 ans un fils qui s’est invité sur mes jours avant que je ne m’ y attende, moi qui ai fait le choix quelques années plus tard de ne pas mener à terme une autre grossesse imprévue. Dans les deux cas j’ai pu choisir sereinement de prendre une décision qui m’appartenait, cette chance ne doit pas en rester une encore moins un luxe octroyé à une minorité de femmes dans le monde, laissant les autres à leur désespoir, à un choix sacrificiel d’elle-même et de leur enfant qui le plus souvent n’aura pas les conditions de vie qu’il mérite ou à une mise de danger de leur propre vie, pour le moins de leur santé.

 

Je souhaite bonne chance et bon courage à toutes  celles qui se battent encore pour faire avancer les mentalités et les lois dans leur pays.

Je pense aux polonaises qui subissent actuellement une régression phénoménale de la législation en vigueur sur ce sujet. 

Je pense aux femmes d’Amérique latine qui pour l’écrasante majorité vivent encore  sous le joug de lois moyenâgeuses. Je rappelle qu’au Salvador Theodora VASQUEZ est emprisonnée depuis dix ans et en risque encore vingt de plus pour avoir perdu son bébé d’une fausse couche jugée trop tardive et résultant d’une négligence maternelle!!!!!

Je pense aux femmes africaines pour qui l’avortement clandestin reste la règle dans des conditions sanitaires effroyables.

Pendant ce temps en Inde, en Chine ou au Népal l’avortement est légal afin de favoriser la naissance d’un garçon. Des millions de foetus féminins sont ainsi éliminés chaque année entraînant dans cette partie du monde un déséquilibre des sexes jamais observé jusqu’alors posant des problèmes nouveaux et spécifiques à la communauté des jeunes adultes, vecteurs de nouveaux drames comme les rapts de jeunes filles et les mariages forcés…

Je pense à toutes ces femmes victimes d’une société obscène et immature.

Je pense à Augustine…


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