Pour le meilleur et pour la science

Depuis la nuit des temps, la science ou tout au moins l’esprit scientifique a évolué parallèlement à la condition humaine qu’elle poursuit tout autant qu’elle la stimule. Le XXème siècle marque à ce jour l’apogée de cette évolution qui s’est muée en véritable révolution et ce dans quasiment tous les domaines avec en point d’orgue l’entrée tonitruante dans nos vies de l’informatique et du numérique. À tel point qu’il nous est devenu difficile de maîtriser cette formidable avancée. Ne serions-nous pas dépassés par les miracles de nos propres inventions? En effet la civilisation humaine vit avec le progrès scientifique dans une logique de consommation, sans réellement le comprendre avec pour seule garantie sa confiance en une élite de spécialistes dont elle mesure instinctivement les limites. La polémique reste entière, doit-on se réjouir ou s’inquiéter de vivre à l’époque phare de l’impérialisme scientifique?

S’il est vrai que tous les jours nous assistons effarés à des dérives menaçantes ou simplement indécentes il convient malgré tout de reconnaître que de grands combats ont été menés victorieusement par la recherche améliorant de façon considérable la vie des hommes d’aujourd’hui. Sans doute reste-t-il maintenant à notre humanité à prendre suffisamment de recul face aux opportunités qui s’offrent à elle. Le temps et l’expérience d’un monde ultra technologique lui permettraient de contrôler ses propres découvertes de manière à en jouir sans avoir à les craindre.

 

N’est-ce pas dans la nature même de l’homme que de toujours chercher à maîtriser sans cesse davantage son environnement jusqu’à l’asservir à son bénéfice personnel. Pour ce faire la communauté scientifique n’a jamais cessé de rechercher en tous sens, de la technologie de pointe jusqu’à la création de nouveaux besoins censés améliorer notre confort quotidien. Mais que dire de la corrélation trop fréquente entre les bienfaits, enfants de la science et sa dérive intrinsèque qu’est la recherche du profit, gangrène moderne de nos sociétés d’hyper consommation.

À trop vouloir exploiter, d’une part la nature, d’autre part nos fantastiques capacités d’invention, ne perdons-nous pas de vue le plus souvent notre propre intérêt ou pour le moins celui de ces générations qui viendront après nous et à qui me semble-t-il les comptes que nous aurons à rendre sont déjà bien lourds.

 

Le contenu de nos assiettes est un exemple simple et récurrent de ce malaise inhérent à l’avancée scientifique. le syndrome de la « mal bouffe » est actuellement l’un des soucis majeurs de nos sociétés modernes. L’industrie agro-alimentaire n’a eu d’autre ambition pour nourrir le plus grand nombre  de produire toujours plus, à moindre coût. Des complications inattendues, incontrôlées car incontrôlables nous assomment aujourd’hui à grands coups de pathologies toujours plus nombreuses et dangereuses liées à nos habitudes alimentaires. Mais les exigences du marché, de la concurrence, des règles d’exportation, de production et surtout de rentabilité sont telles que nous sommes finalement devenus incapables de remettre du sens dans nos habitudes de consommation bien que conscients qu’elles nous tuent à petit feu. Nos bovins sont bourrés d’hormones, d’antibiotiques ou de farines animales. Au mieux la viande n’a aucun goût, au pire la vache est folle. Des milliers de cheptels sont abattus, quelques humains sont malades, les éleveurs sont au bord de la faillite, heureusement il nous reste nos sacro-saints cinq fruits et légumes par jour.Transgéniques bien sûr!!! Car la science s’est également intéressée à nos salades. Nous ingurgitons allègrement des organismes génétiquement modifiés, saturés de pesticides et autres engrais. Nos tomates sont d’un rouge éclatant en toutes saisons, aussi grosses que des pamplemousses, parfaitement insipides mais peut-être cancérigènes. À vérifier dans vingt ans…

Comme si ça ne suffisait pas notre addiction au sucre, organisée de longue date est en train de nous exploser à la figure, ce qui n’empêche pas les rayons de nos supermarchés de proposer pléthore d’aliments plus sucrés les uns que les autres et notamment dans la gamme des produits transformés à destination des plus jeunes!!!

Dans l’hypothèse où nous survivions à nos déplorables comportements alimentaires, quelques autres dangers nous guettent. Le monde, en tant que terrain de conflit permanent a décidé de se protéger. La course à l’armement a donc naturellement elle aussi bénéficié du génie de la science. Résultat,  nous sommes en possession d’un arsenal capable de détruire plusieurs fois la planète, ceci pour ce qui concerne un type de guerre classique. Mais n’oublions pas un genre inédit de solutions radicales telle que l’attaque bactériologique qui fonctionne si bien sur les poumons des enfants syriens. De nombreux laboratoires à travers le monde officient depuis des années à traquer virus, bactéries et autres microbes dans le cadre de la recherche médicale, mais il faut croire que notre santé ne rapporte assez, on nous reproche d’ailleurs suffisamment ce qu’elle coûte à la société. Alors bien sûr il est tentant de se servir de ces découvertes non plus pour servir la vie, mais la mort tellement plus lucrative. Ces armes aveugles blessent, mutilent, tuent indifféremment civils, femmes, enfants, vieillards et leur action a la particularité de rester meurtrière sur le long terme. On se souvient des désastres dûs aux armes chimiques. Combien de soldats, vétérans de la guerre du Golfe ont développé diverses pathologies mentales et/ou physiques plusieurs années après leur retour?

 

La liste des mises en danger de l’humanité pour cause de dérapages scientifiques est non exhaustive. Elle revêt parfois des aspects extrêmement pernicieux. Le clonage, la thérapie génique, la procréation médicale et autres miracles modernes sont autant de progrès qui réclameraient une éthique irréprochable bien loin des exigences de profit et de rentabilité à l’oeuvre dans le monde intensément consommateur qu’est devenu le nôtre. Comment se prémunir contre l’eugénisme ou contre l’émergence d’une humanité née d’une éprouvette. Autrefois on faisait l’amour  et l’on avait  des enfants puis on a fait l’amour sans avoir d’enfants enfin nous avons des enfants sans faire l’amour. La science est entrée dans nos chambres à coucher…

Autant ne pas aborder la question environnementale qui à elle seule mériterait une prise de conscience collective de l’aberration que représentent nos nouveaux modes de vie.

 

Le revers de la médaille des progrès scientifiques est effrayant mais ne soyons pas sectaires en n’en évoquant que les dérives sans parler des leurs apports énormes à la condition humaine au quotidien. Ils sont indéniables. La médecine en premier lieu a complètement transformé notre rapport à la vie et à la santé. Que ce soit en terme de longévité qu’en terme de bien-être. Un nombre impressionnant de maladies autrefois invalidantes ou mortelles ont été vaincues par la recherche médicale. Les traitements mis au point durant les cent dernières années ont allongé l’espérance de vie dans de bonnes conditions de façon considérable. Les vaccins, les antibiotiques sauvent chaque jour des milliers de vie. La prise en charge de la douleur était inexistante jusqu’encore récemment. Un exemple simple mais frappant: l’accouchement. Durant des millénaires les femmes ont enfanté dans la souffrance, aujourd’hui la péridurale leur donne le choix de mettre au monde leurs enfants dans la sérénité et la sécurité. D’autant plus que leur grossesse a été suivie de façon performante avec l’assistance des nouvelles techniques d’échographie ou d’amniocenthèe entre autres. Précisons que pour la plupart d’entre elles, elles ont souhaité cette maternité ce qui représente un progrès immense par rapport à cinquante ans en arrière. La pilule est passée par là.

 

Aussi émouvant que puisse être le début de la vie, ce n’est pas la seule période de notre existence que le médecine a considérablement améliorée. La gériatrie a elle aussi bénéficié de nombreuses découvertes. Beaucoup de troubles liés à l’âge sont dorénavant correctement pris en charge et permettent  à bon nombre d’entre nous d’accéder à une vieillesse sanitairement acceptable. Les troubles cardiaques, de la tension, de la vue, de l’ouïe, de la mobilité etc sont désormais correctement traités.

 

D’autres bénéfices font partie intégrante de notre confort quotidien. Notre vie de tous les jours s’est affranchie des distances, du temps et de l’espace. Il nous apparait normal d’être à l’autre bout du monde en quelques heures, nous sommes pareillement habitués à obtenir des informations de toute la planète en temps réel. Les réponses à quasiment toutes nos questions se trouvent à portée de clic, dernière née des récurrences de notre gestuelle. L’accès à une connaissance empirique, sorte de savoir universel à la disposition du plus grand nombre est une réalité absolument utopique pour l’homme d’hier.

En fait nous devons à la science l’essentiel de ce qui ponctue nos journées. Nous avons la mémoire courte mais essayons tout de même de réfléchir à la banalité d’un jour ordinaire. Lumière, chauffage, déplacements, courses, cuisine, hygiène, loisirs, sommeil, travail, très peu de domaines ont échappé à la science pour ne pas dire aucun et dans la plupart des cas nous serions bien ingrats de nous en plaindre.

 

Nous avons toutes les raisons de craindre que l’humanité dans sa folie ne se laisse déborder par ses propres capacités, est-il déraisonnable de faire confiance à notre instinct de survie pour imaginer que nous saurons à temps mettre en place des mécanismes de régulation des pièges que nous avons nous mêmes créés et qui nous menacent. L’ironie du sort est que nous devrons plus que jamais compter sur la science pour nous protéger du pire. 

 

Mais la question est-elle vraiment là?

À vrai dire si l’on considère la question d’un point de vue logique ou plus radicalement en terme de mérite, on peut alors légitimement s’interroger sur le bien fondé de la persistance de notre humanité. On nous parle sans arrêt de sauver la planète mais de quoi parle-t-on? La planète si elle veut être sauvée a toutes les raisons de se débarrasser de son principal ennemi à savoir l’homme. Dès lors il n’est pas inconsidéré de penser que c’est bien de notre inconséquence, de nos manquements, de nos outrages, de notre vanité et in fine de notre disparition que dépend sa survie car au stade où nous en sommes et au regard de nos si mesquines idéologies, la justice ne serait-elle pas en notre défaveur?


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