Ma résistance

Exécrer le monde ne suffira pas à le changer. En maudire les violences, les turpitudes et les obscénités non plus. Les dénoncer avec force et s'efforcer de se tenir droit face au désastre est certes honorable mais vain. On ne hurle pas sur un mourant, on le pleure avec plus ou moins de sincérité. Ce monde à l'agonie et quand je dis ce monde je parle bien sûr de notre humanité, est en phase terminale. Tout au moins dans sa forme actuelle. Pour autant je m'interroge sur la nécessité de m'en émouvoir. Je ne crois en aucune rédemption et les quelques individus de bonne volonté qui se battent encore pour un monde meilleur ont bien sûr mon respect mais plus encore ma compassion devant l'ambition titanesque et naïve de leur combat. 

Néanmoins je ne pense pas qu'il n'y ait que deux attitudes à envisager qui seraient l'acceptation du chaos ou la révolte. L'une est stupide, l'autre stérile. Je choisis le retranchement. Non pas sûr moi-même mais sur ce qui reste de lumière et de dignité. Aussi longtemps que je pourrai admirer un Vermeer, lire  Baudelaire, savourer une fraise ou m'éblouir dans le couchant, le CAC 40 et la City n'auront que mon mépris. L'ultra-libéralisme a déjà triomphé de tout ou presque. De ci de là quelques Massaïs, quelques Inuits ou quelques Mongols sont encore des hommes debouts mais ce n'est un secret pour personne qu'ils sont les derniers vestiges, condamnés, d'un monde perdu dont les cendres infertiles ne verront jamais refleurir aucune société digne. 

Ma désespérance est lucide mais je me refuse à la colère. Je n'ai pas cette forme d'orgueil. Car c'est de cela qu'il s'agit. Je ne vis pas toutes les misères du monde comme des attaques personnelles, les miennes me suffisent et plus que tout je veux garder intacte le plus longtemps possible mon aptitude à m'émouvoir, à aimer, à m'émerveiller. Je refuse de céder quoi que ce soit de ce que je suis à une fureur nauséabonde qui ne me mènerait qu'à plus de souffrance. Penser le monde, faire le constat de l'incommensurable barbarie des hommes envers eux-mêmes et envers leur environnement n' appelle pas nécessairement la rage et la haine. Il est une autre forme de résistance qui consiste à garder coûte que coûte son élégance relationnelle, sa décence de propos, sa cohérence d'action et son honnêteté intellectuelle. C'est pourquoi je continuerai de mon mieux à être attentive à L'autre même quand Les autres m'insupportent. Je tâcherai de formuler mes propos en dehors de la sphère du jugement et de l'intolérance. Je m'efforcerai d'agir en cohérence avec les valeurs que je prône et je tenterai toujours, ce qui me semble le plus ardu, de rester maître et libre de ma pensée en en assumant parfois les manquements ou les doutes.

Je ne crois pas que ce refus de me laisser gagner par la haine du monde tel qu'il est fasse de moi un quelconque suppôt de son grand Satan. Je ne clamerai jamais assez fort ma honte et mon dégoût de nos sociétés sans âme qui ingurgitent de l'humain comme une baleine le krill, c'est à dire avec somme toute une apparence sympathique qui n'est qu'un masque sur sa monstruosité.

Mais moi j'aime la poésie, les fleurs des champs et le rire des enfants d'ici qui ignorent tout des larmes de ceux de Syrie...


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