Les âmes et les passants d'abord

L'essentiel de nos échanges relationnels sont certes les fruits improbables du hasard des rencontres mais aussi et peut-être surtout des choix partiellement inconscients d'avoir privilégié cet interlocuteur plutôt qu'un autre. Hormis les cercles familiaux ou professionnels dans lesquels nous côtoyons des individus plus ou moins volontairement, le reste de nos interactions humaines témoignent pour nous de ce qui nous meut et de qui nous sommes. 

« Dis-moi qui tu fréquentes je te dirai qui tu es ».

Il me semble que deux façons distinctes et peut-être contraires d'interagir avec autrui peuvent caractériser l'être social que nous sommes. L'une relève de l'émotionnel, l'autre du cérébral. Il ne s'agit pas de défendre ou de dénoncer l'un ou l'autre de ces positionnements, les deux sont recevables. Mais le fait d'être au clair quant à nos propres attentes envers ceux qui nous entourent nous éviterait peut-être d'avoir à souffrir de relations discordantes qui ne sont rien d'autre qu'un malentendu.

Je suis un être d'émotions. Je le revendique pour mieux le vivre. Pour moi le rapport à l'autre ne trouve son intérêt que dans la communauté d'affects, l'attention à l'autre et à ses besoins, l'empathie qu'il suscite chez moi et qu'il me témoigne, le bien être ensemble. Peu m'importe ce qu'il a de plus ou de moins, de différent ou de semblable ou ce qu'il pourrait éventuellement m'apporter. Je n'ai aucunement besoin d'admirer pour aimer, il ne m'est pas nécessaire de pointer chez lui ou elle ses points forts ou ses limites. Je me méfie même un peu de ces exigences qui flirtent avec le mépris et l'intolérance voire la domination. Je préfère un haut potentiel humain même sans brillance particulière à un esprit supérieur qui ne serait que cela. De toute façon on ne partage pas ses points de QI comme ceux d'un permis, alors l'émulation intellectuelle pourquoi pas si elle est au service d'un rapport d'échanges fructueux mais la préséance de l'esprit sur l'émotion non merci. Il me sera toujours plus précieux de partager un moment de chaleur humaine même simpliste que d'exposer ou de subir une argumentation arbitraire aussi élevée soit-elle. Plus besoin d'amour que d'estime sans doute mais l'un va t-il sans l'autre?

Cette mise au point de qui je suis et des valeurs que je recherche dans le cadre des relations humaines est avouons-le l'expression d'une lassitude quant à l'uniformisation latente des ambitions de notre société. Notamment en ce qui concerne les plus jeunes. Quelle place est réservée aujourd'hui à ceux qui n'ont pas les capacités de rejoindre l'élite? À l'heure où nous n'avons plus d'enfants mais uniquement des élèves je m'interroge sur le devenir de tous ces jeunes qui se construisent sous la pression continue de devenir quelqu'un. Sous entendu quelqu'un qui a réussi. Mais ils sont déjà quelqu'un! Et même le plus souvent quelqu'un de bien. Seulement aucun diplôme ne viendra jamais récompenser cet aspect de leur personnalité. Peut-être serait-il bon parfois de leur dire que l'important n'est pas nécessairement ce qu'ils feront mais plus intimement qui ils seront. Cela affectera plus sûrement qu'une position sociale leurs facultés à donner et à recevoir, à mettre en place des relations humaines dans lesquelles ils pourront puiser bien-être et satisfaction. Les faire courir après un réseau plus qu'après du lien m'apparaît comme une atteinte manifeste et délibérée à leur épanouissement personnel futur.

Je n'ai pas vocation à convaincre qui que ce soit de la plus grande cohérence de mon positionnement au dépend d'un autre, chacun est libre, si tant est qu'on le soit concernant ces choses là mais c'est un autre débat, de se définir lui-même comme un être régi majoritairement par l'émotion ou par l'esprit. Certaines âmes aux allures de miracle sont sans doute à l'équilibre, les guette alors l'ennui inhérent à toute forme de perfection...


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