11/11/1918 11H11

La guerre est finie. La terre gorgée de sang est enfin repue. Peu lui importe les frontières, la folie des hommes l’indiffère. Elle s’est lassée du bruit, de la mitraille, elle veut refermer ses blessures. Les tranchées rendues au silence refleuriront bientôt riches de chairs fertiles, des chairs de vingt ans cueillies dans le matin du siècle, offertes au monde pour une paix éternelle. 

Les clochers ivres de liesse célèbrent la vie renaissante d’un carillon las de sonner le glas. Désormais c’est sûr le souvenir de l’enfer garantira pour tous le plus jamais. Chaque famille, chaque cœur qui bat gardera la mémoire d’un fils, d’un père dont l’absence indélébile sera la preuve du sacrifice consenti à la nation. Sur les monuments aux morts Auguste, Léon, Jules, Albert et les autres seront fleuris de gloire et de reconnaissance. La patrie honorera ses morts les habillant d’histoire qu’il faudra enseigner aux vivants.

Les femmes ont déjà les bras ouverts et les yeux humides pour accueillir ceux qui vont rentrer. Ils étaient si beaux, si gais, si fiers avant de partir sauver le pays. C’est difficile de les reconnaître dans ces corps qui tremblent dans la nuit, qui pleurent sous leurs baisers et hurlent en rêvant. Rentreront-ils vraiment? Ne sont-ils pas piègés à tout jamais dans cette boue qui leur colle à la mémoire, certains ont ramené la violence avec eux, d’autres la mélancolie, d’autres encore la folie. Pour quelques uns elles finiront dans le secret par regretter qu’il soient rentrés.

Les trains sifflent dans les petites gares de campagne, les fusils reviennent sans fleurs bien décidés à aller mourir au fond des granges. Il y a tant à faire pour si peu de bras, tout à reconstruire et surtout cette paix à savourer et à défendre. Il faut absolument la réussir, on la doit à tous ceux qui sont tombés, à tous ceux qui ne seront pas nés. Louise y pense du fond de sa solitude, son Jean n’est pas revenu, il est couché dans la terre froide tellement loin là-bas que même du clocher de l’église, sur la place où on l’avait baptisé en 1894, elle ne pourrait la distinguer dans l’horizon. Elle ne baptisera pas les enfants qu’ils s’étaient promis l’un à l’autre. Peut-être que son grand cœur lui fera accorder à un plus chanceux qui l’attendrira de sa gueule cassée la chance de la faire mère malgré tout D’ici un an ou deux elle aura un fils. Il sera si beau, si gai, si fier, il aura 20 ans en 1940.


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